Conseils de lecture
Partager les émotions que procurent la lecture de Wisconsin fait un bien fou.
"Les enfants ont un tel instinct de survie, nous dit Mary Relindes Ellis, dans ses descriptions magnifiques des paysages du Midwest américain, qu'ils trouvent dans la nature ce que leur environnement familial dénie.
Et comme les anciens Ojibwés le savent depuis longtemps, ils y trouvent aussi la sagesse et la clairvoyance."
Ce livre bouscule, il vous arrache des larmes autant que des rires, il donne envie d'en partager la lecture avec son entourage.
L'on ne veut pas garder pour soi l'histoire de ces êtres écorchés vifs mais si terriblement émouvants.
Ce livre est d'abord paru sous le titre Wisconsin, dans la collection 10/18.
Ce roman est gigantesque, il est comme un pin de l’Oregon multicentenaire, il en atteint les cimes.
« Le bois, c’est du temps capturé. Une carte. Une mémoire cellulaire. Une archive. »
« D’un futur proche (2038) aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d’un architecte, la généalogie d’une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts. »
Ce roman est visionnaire en même temps qu’apocalyptique, il nous invite à ne plus tergiverser sur les bonnes attitudes à avoir et les bonnes décisions à prendre si l’on veut que la vie continue. Il nous dit que la vie humaine, comme la vie animal ou végétale c’est ici et la Terre maintenant.
Mais ce roman est à l’opposé d’une fabrique à culpabiliser, il ne veut pas inhiber nos choix par une trop forte peur qui nous empêcherait d’agir, non, au contraire, il nous galvanise de la plus belle des façons, il nous rend responsable et nous donne du courage pour faire en sorte que jamais il ne reste qu’un dernier arbre.
Extrait : « Quand elle racontera l’histoire de l’ouragan, ce qu’elle fera un nombre incalculable de fois lors d’encans de bétail ou de repas partagés sur sa nouvelle galerie avec des gens de passage, elle se demandera comment rendre compte du son de la bibliothèque avalée par la tornade. Comment décrire précisément le bruit de dix mille livres s’envolant dans les airs pour être éparpillés sur des centaines de kilomètres. Et ce n’est que des années plus tard – bien après la fin de la Grande Dépression, quand les pauvres auront cessé de passer de train en train ; bien après la mort de Gertie, décédée d’une grippe le jour de son quatre-vingt-dixième anniversaire ; bien après que le souvenir des douces épaules d’Everett, de son épaisse chevelure noire et du drôle de sérieux de ses manières aura pâli dans sa mémoire ; bien après qu’elle aura de nouveau été capable de s’aventurer dans la partie du champ où ensemble ils avaient planté les petits érables qui sont depuis devenus grands ; bien après que le vide laissé par cet homme dans sa vie aura complétement cicatrisé – alors seulement trouvera-t-elle une réponse satisfaisante : on aurait dit des oiseaux. »
Ce témoignage laisse sans voix tant celle d’Amara est pure.
Amara est un migrant qui attend qu’un juge reconnaisse ou non son statut de mineur. Il est hébergé chez Joëlle Le Marec, ils vont apprendre à se connaître, se comprendre et attendre que la justice passe. Cela devait durer 10 jours, cela deviendra neuf mois, le temps en quelque sorte d’une nouvelle mise au monde pour ce garçon.
Joëlle Le Marec écrit un récit plein de sensibilité, elle s’attache au fil des jours à cet enfant, c’est évident, mais elle le vouvoie et ne l’embrasse pas, elle ne le tient pas à distance, non, entre eux tout est soudé par la confiance et le respect, mais elle sait qu’il devra partir un jour ou l’autre.
Le livre est écrit à deux voix, celle d’Amara se fait rare au début, il lâche quelques phrases comme : « Ma vie a commencé en 2016, à ce moment je suis parti de chez moi et j’ai traversé le désert. » « Amara fils de misère je ne voulais pas l’être, mais je l’étais quand même. » Puis la confiance vient avec l’apprentissage de l’écriture et de la lecture, Amara se livre de plus en plus, échange avec les autres, il a une telle soif d’apprendre. Joëlle Le Marec évoque les réfugiés politiques, climatiques ou économiques mais elle y ajoute les réfugiés cognitifs, ceux qui viennent pour s’instruire, savoir lire, connaître les mots qui permettent de grandir et se construire.
Tout ça ne se fait pas dans un climat apaisé, malheureusement pas, certains juges vont jusqu’à l’écœurement : « votre récit est trop stéréotypé ». « Ou bien, comble de la cruauté « la maturité dont vous avez fait preuve laisse soupçonner que vous n’êtes pas mineur. » Ils n’ont pas été « assez bons ». Ils ne se sont pas bien vendus. »
Puis il faut composer avec le climat ambiant « face au danger grandissant d’une Europe enlaidie par la peur et l’égoïsme. »
« Hier une ministre a dit à propos des migrants arrivant en Europe qu’ils font du « shopping de l’asile ». Amara est venu ici non pour faire du shopping de l’asile (il est totalement indifférent au shopping d’une manière générale), mais parce qu’il est un des acteurs de cette aventure humaine risquée qu’est la migration. Celle-ci ne consiste pas à aller « chez autrui », dans le supermarché européen, mais à aller quelque part créer sa vie. »
« Les milliers de photos, de récits, de films, de chansons inspirés depuis des siècles par les gens du voyage nous ont-ils rendus plus sensible à l’hostilité et au rejet dont ils n’ont jamais cessé de faire l’objet ? Non. Absolument pas. Nous aimons le rêve de liberté, de musique et de beauté, mais pas les personnes. »
« J’ai rêvé toujours de voir Oumou Sangare. Je ne savais plus comment faire pour voir Oumou Sangare encore, mais grâce à J j’ai pu voir Oumou Sangare et j’espère un jour m’asseoir avec elle pour parler. »
De la belle voix d’Oumou Sangaré, Amara lui a emprunté la couleur, la poésie et la mélancolie. Amara, entrez dans ce monde, il vous appartient.
Comment doucher les dégueulasses ?
Alors qu'il pense avoir tué un policier anti-émeute, Manuel part se mettre au vert dans un village abandonné, loin de Madrid.
Se mettre au vert est un bien grand mot quand on ne sait pas faire la différence entre un pissenlit et une branche de fenouil!
Cependant Manuel va se montrer très vite débrouillard dans l'art de la vacuité. Sa technique est simple, elle est aux antipodes d'un Henri Thoreau qui appelait à se passer de beaucoup, quand Manuel, apprend lui à n'avoir plutôt envie de rien... ni de personne.
Les jours se suivent et Manuel devient un expert dans l'asséchement de la bernique!
Cette sublime solitude ne va pas durer, une famille débarque dans le village et s'installe dans une maison mitoyenne à celle où Manuel tente d'échapper à son sort, qui est en principe, de se retrouver derrière les barreaux.
Mais qui sont ces gens que Manuel appelle les Mochefèses? La description qu'en fait Manuel est un "compendium" de jubilations, il nous faut reconnaître qu'il est alors un peu dégueu avec les dégueulasses! Voici un bout de portrait de la matriarche:" Joaqui inspirait à Manuel un dégout d'envergure continentale. Il disait à son propos des choses qui m'alarmaient, moi qui ne la connaissais pas. Elle était hyperfessue. On voyait de loin que son visage sentait mauvais, comme les ruelles sombres. Derrière ses genoux, ça puait la guerre. Le prototypes de la femme qui confond le tiroir des slips sales et celui des slips propres."
Manuel voue une détestation identique pour les enfants du couple: " C'étaient des geignard qui savaient que, même s'il ne leur était rien arrivé, ils devaient pleurer pour parvenir à leurs fins. Des bébés surprotégés qui avaient besoin d'aide en tout et qui ne parlaient qu'en sanglots. De grossiers personnages qui criaient tout le temps, comme pour voir qui pouvait battre Fosbury au saut en décibels."
Manuel décide de faire déguerpir ces dégueulasses, pour ça il a sa méthode...son plan.
Ce roman est bien plus érudit que cette notice ne le laisse croire, il pose de véritables et bonnes questions sur la société de consommation et sur le définitif abaissement de l'espèce humaine.
Une aventure à coups de pétoires !
Il y a du Tom Sharpe chez Anton Tomic, c’est indéniable et c’est tant mieux, ainsi la lignée des écrivains drôles, irrespectueux et anticonformistes se poursuit à coups de pétoires !
Le ton est donné dès le début du livre, quand Zora, l’épouse de Joza Aspic quitte se bat monde : « Zora se tut jusqu’à son dernier soupir, où elle jeta un tendre et ultime regard à son époux et murmura : « tu es une merde. » »
Dans un coin paumé de Dalmatie vit la famille Aspic, le père déjà nommé et les quatre fils. Un peu comme dans Aux urnes les ploucs de Charles Williams, les Aspics n’aiment ni l’Etat ni la civilisation et encore moins les fouineurs comme peuvent l’être, par exemple, les employés de l’Intercommunale d’électricité…Toute intrusion dans la combe est mal vécue, quiconque y met un pied y risque sa peau.
Oui mais voilà, l’absence de femme commence à se faire ressentir, notamment pour la santé mentale et physique du frère ainé, Kresimir. Manger de la polenta tous les jours ça pèse sur l’estomac, même si elle est agrémentée de caramel ou de cacahuètes, de noix de coco ou encore de ketchup, de la polenta ça reste de la polenta !
Ainsi démarre la jubilatoire aventure de la quête de la future épouse, cela promet, il va y avoir une profusion de sourires et de rires !
Sans oublier que les Aspic sont teigneux, hargneux, mal fagotés, pas éduqués ni lavés, là, les choses… se croatent...