Conseils de lecture
Mylène Rémy. Mes souvenirs de diamants.
Voici une biographie enlevée, drôle, magistrale, écrite avec le beau style d'une femme lettrée et engagée. Mylène Rémy, du haut de ses 90 ans, nous raconte sa vie avec une énergie incroyable. Quel parcours, quelle détermination, quel allant! Il convient de saluer bien haut un livre dont l'histoire commence dans une famille de l'Action française installée dans les beaux quartiers du Champ-de-Mars à Paris et se termine par un Shalom venu d'un village perdu en Nièvre, Ciez pour le nommer.
"Les dieux - hindous ou non - m'attendaient au tournant ou plus exactement au lieu-dit Les Pautrats.
L'installation D'une parisienne inconnue dans un hameau nivernais ne passa pas inaperçue de mes voisins
paysans, d'autant qu'elle s'était faite en juillet, c'est à dire au moment des récoltes dans cette région de cultures
céréalières. Toute la journée passaient devant mon jardin des engins gros comme des maisons, surchargés
de gens aux yeux dardés sur cette femme, généralement vêtue d'un boubou, qui attaquait à la scie égoïne,
à longueur de journée, d'immenses panneaux d'aggloméré, l'un à la suite de l'autre."
De droite à gauche dans la tourmente du XXe siècle, nous raconte le parcours d'une femme qui commence dans les années 1924. "Tout en dansant le charleston avec "les grands", elle écoute leurs discussions enragées et en conclut qu'elle n'a besoin de personne pour conduire sa vie." Et le moins que l'on puisse dire c'est que cette attitude sera tenue, Cela ne sera pas facile tous les jours, les contraintes seront nombreuses, mais il n'y aura jamais de reculade, toujours de la détermination.
Et, à force de ténacité un cheminement s'installe, une trace creuse son sillon. Sillon qui l'emmènera dans divers pays d'Afrique pour lesquels elle écrira des guides de voyage. Elle nous parlera de la Provence qui lui manque tant. Mais surtout elle insistera pour témoigner sur son parcours de femme dans les années 50-60-70-80-90, des combats permanents pour simplement être, exister et vivre en liberté. Chaque décennie bousculera avec elle le vieux monde, déposant-là des certitudes et offrant ailleurs des avancées définitives, acquises par la lutte. Le tout est délivré par Mylène Rémy avec un sens de l'autodérision qui nous fait sourire ou rire le plus souvent, c'est délicieux , franc, malin, utile.
Sur les pas de César Aira
Le roman commence par un journal autofictionnel. C'est un homme qui aime les les hommes et l'écrit avec fougue mais aussi sensualité. Cet homme n'hésite pas non plus à nous parler de son corps, qu'il aille bien ou mal.
Dans les Sagoens, l'on voyage beaucoup, des plaines du nord de la Belgique ou de la Somme, du Paraguay à l'Argentine, en passant par la Forterre et les sombres pays de l'Othe ou de Daoulas en Finistère à l'Open café de Paris!
Sur les pas de César Aira nous dit l'éditeur, mais les deux textes ouvrent sur un panthéon généreux, on est en bonne compagnie. Dominique Fernandez pointe son nez, Michel Tournier fait un tour avec le Roi des Aulnes. Mathieu Riboulet est partout comme chez lui. Blaise Cendrars en ami fait un signe, Pasolini en frère d'armes un autre. Julien Gracq, si proche du végétal, du minéral passe par-là. Serge Doubrowski, accompagné de son petit fils Guillaume Dustan trinquent plusieurs fois... Renaud Camus, à ses débuts, est aussi de la fête, tout comme le sont Pierre Loti et Pierre Michon.
Cependant, l'invité surprise pourrait bien être Jean-Anthelme Brillat-Savarin! En effet, au fil des pages se succèdent les descriptions de repas tantôt pantagruéliques, tantôt dignes d'un chef étoilé, le livre donne littéralement faim!
Le journal devance le Grand Roman mais il en est aussi l'ossature, la chair et le sang:" On ne pouvait envisager chacun des épisodes séparément; on ne pouvait comprendre l'un sans l'autre." Le Grand Roman serait donc une sorte de GR, le fruit du travail d'un mémorialiste qui suit une piste, dont la mission est de retrouver un jeune homme trop tôt disparu, un Jeune Prince issu d'une haute lignée.
Dans Les Sagoens, J.Verney parfois emporté par la recherche de la belle phrase ou des mots et verbes rares comme: Groube, maïe, escarnavé, péridot, locater ou autre patrioquer, retarde l'intrigue, malgré moult cavalcades on prend des poses, des haltes, on s'arrête comme on le ferait pour décider de bifurquer vers un chemin plutôt qu'un autre. Et c'est aussi ce que va décider le Jeune Prince, tel un Siméon le jeune, stylite perché au sommet de sa colonne, Napoléon, Eugène, Louis, Juan, Joseph Bonaparte rejoindra les hommes ivres de Dieu.
Extrait: "En plus de cet album de la vie de son fils, les murs de la résidence étaient encombrés d'un bric-à-brac d'autres images, héritées de la mer. Arrachées à la mer? Comme si la vague des photographies, des peintures à la gloire du Jeune Prince, n'avait pas réussi à effacer complètement d'autres vagues, plus anciennes; comme s'il en subsistait des reliefs, les pièces et les reliques d'un naufrage, les planches usées, madriers, lattes...où l'attention découvrirait également les êtres démantibulés des abysses, ramenés d'abord dans les eaux supérieures, puis exposés sur le sable cru des parois. Comme si la résidence, les volées d'escalier de la résidence, était une côte naufrageuse sur laquelle la mer aurait drossé de pauvres navires- et porté ces pièces et reliques d'autant plus haut dans les étages que les courants avaient été puissants."
"Lorsque la peur me prend, j'invente une image." Goethe
Un beau jour de cet automne 2020, Michel Agier entre dans la librairie et m'offre sa dernière publication avec en prime cette dédicace si appropriée: "Des épouvantails à Saint-Amand -en-Puisaye, pourquoi pas? Il y a déjà des oiseaux de nuit..."
Pouvait-il y avoir une meilleure façon de susciter mon intérêt pour la lecture de cet essai? Qu'avait à dire L'anthropologue Michel Agier "sur les traces de nos peurs"?
Sa théorie s'appuie sur le fonctionnement en réseau du virus, ainsi ce dernier se jouerait-il complétement des frontières, qu'elles soient régionales, nationales ou internationales, Wuhan et les Contamines-Montjoie sont d'un même pays. "Les responsables politiques justifient souvent les fermetures de frontières nationales, voire la construction de murs en disant que, même si elles ne sont pas efficaces, elles "rassurent"."
"Dans le monde incertain où nous nous trouvons, dans le monde d'après ou pour d'autres pandémies à venir, le véhicule du virus est le réseau des relations humaines, et c'est lui qu'il convient de décrire pour se trouver au plus près de la réalité."
Cette approche est absolument captivante et démontre avec habileté que tous les mouvements de menton des partis populistes et des responsables politiques acculés à céder sur le terrain des libertés utilisent "la peur" comme mode de fonctionnement. Sans cette dernière pas de confinement réussi, pas de couvre-feu respecté, pas de masques sous le nez...Et comment mieux contrôler des populations rétives si ce n'est que d'épandre des peurs invisibles? "La peur et la politique de la peur ont partie liée, comme les émotions et la politique en général." Des peurs qui viennent de l'infiniment petit, "d'un souffle microscopique", des figures de l'imaginaire, des rites païens, spirituels ou religieux. Si les peurs font se courber l'échine, elles multiplient aussi les "esprits aériens" et voyageurs...
Michel Agier nous propose, avec l'appui des recherches de Mikhaïl Bakhtine, de regarder la peur, les peurs, qu'elles soient existentielles, matérielles ou cosmiques puis, "d'en rire et de s'en libérer dans l'imaginaire."
Un motif d'apaisement viendrait-il de cette étonnante observation: "Je lis dans Wikipédia: " Pour les oiseaux, l'épouvantail est tantôt un repoussoir, tantôt un perchoir.""
Centrons notre regard sur son livre pour mieux comprendre "ce qui arrive."
Nous avons de pluie assez eu
De Erica Van Horn
Illustrations de Laurie Clark
Traduit par Cléa Chopard
Héros-Limite
Les mots sont des oiseaux rares.
Nous avons de pluie assez eu, Parle d'oiseaux, de toutes espèces d'oiseaux, sans trop chercher à distinguer la grive du merle, ce n'est pas un guide ornithologique. C'est un recueil de textes qui nous dit ce qu'apporte les oiseaux dans notre quotidien, des conséquences heureuses ou tristes de leur présence dans nos vies.
"Il y a toujours le premier quelque chose à voir. Le premier flocon de neige. La première primevère. La première jonquille ou la première jacinthe ou le premier crocus ou le premier bourgeon de pommier. Il y a toujours le premier quelque chose à anticiper ou à célébrer, mais rien ne provoque autant d'excitation que la Première Hirondelle."
Nous avons de pluie assez eu est fait de petits riens, de détails minuscules, d'observations fines, de rencontres improbables mais toujours délicates, pas plus lourdes que le duvet au fond d'un nid de mésanges. C'est tendre, ça fait du bien, ça agit comme un remède, une thérapie douce.
Chaque textes d'une à deux pages, avec une exception pour un passage un peu plus long, sont accompagnés d'un dessin à l'aquarelle de Laurie Clark.
Nous avons de pluie assez eu est une merveille de sensibilité et de retenue, mais ne vous retenez surtout pas de vous l'offrir ou de l'offrir, on le sait bien, les mots sont des oiseaux rares.
«Nous sommes réveillés à cinq heures tous les matins par une cacophonie de chants d'oiseaux. Le volume est extraordinaire et en contraste total avec le bruit d'herbe déchirée que font les vaches dans le pré d'à côté. Le bruit des vaches broutant l'herbe est un son doux. C'est un murmure en comparaison du pépiement des oiseaux. Je devrais l'appeler le chœur de l'aube, mais il est beaucoup trop rauque pour un chœur.»
Croc fendu tient d'un rituel chamanique qui aurait la frénésie et l'étrangeté des aurores boréales.
Ce roman bouscule, l'on passe d'une scène joyeuse ou cocasse à l'effroi le plus sidérant, d'une poésie presque rendue à l'épure, à la violence des mauvais sorts de la vie quotidienne. L'auteure ne veut en aucun que l'on se tienne dans une lecture confortable, d'une page à une autre tout chavire.
Quand la vie de tous les jours devient insupportable il est parfois salutaire d'invoquer le pouvoir des esprits, notre place sur cette terre viendrait de:"la réverbération de nos ancêtres, le chant de notre être présent. Nous n'existons pas en tant qu'individus, mais comme la vaste accumulation de tout ce qui a vécu avant nous."
Et avant nous il y a eu de nombreuses tempêtes, beaucoup d'alcools bus, de drogues reniflées et de mains gluantes glissées entre les cuisses..toujours en douce...violence.
Croc fendu c'est aussi les rires, les blagues, l’insouciance la complicité des adolescents. Des jeux, des paris des provocations qui donnent le tournis de la joie et des petites peurs mêlées. Ça veut mordre la vie à pleines dents comme le ferait un jeune chien Husky.
Croc fendu est un passage qui mène du monde de l'enfance à une incertaine vie d'adulte.
"A mon réveil, je souffrais déjà et je n'ai jamais cessé depuis."
"Mon pas sur le gravier
Poumon de givre
Ivre de gaieté
Ivre de violence
Ivre de jouissance."