Conseils de lecture

Conseillé par (Libraire)
24 juin 2019

La terre invisible, un roman qui se situe entre rêve et réalité


On est en suspension. Un bout d’histoire commence et puis s’arrête et reprend, file vers ailleurs.
Des souvenirs d’une mémoire ancienne surgissent, se collent à l’instant présent, une vision d’enfant, des grondements du tonnerre, les éclairs, la petite histoire se précipite alors dans la grande comme une pluie d’orage. C’est la fin de la seconde guerre mondiale, la libération des camps.
Des soldats allemands défilent dans les rues, en vaincus qu’ils sont devenus.
Un photographe veut faire témoignage mais de quoi au juste ? Des fantômes, des regrets, des culpabilités, des fautes des femmes et des hommes civils qui ont laissé faire l’innommable ?
La terre invisible se situe entre rêve et réalité, ce roman nous plonge dans une sorte d’attente hypnagogique, une hallucination qui précéderait ou suivrait immédiatement un sommeil ennuyé par de mauvais rêves.
C’est une terre chargée d’eau, qu’elle vienne du ciel ou d’un fleuve charriant ses morts aux jambes grises.
Ce roman puissant est une esquisse où tout n’est qu’esquive, pour réussir cela il faut un écrivain de la trempe d’Hubert Mingarelli.


Opus 77

Viviane Hamy

Conseillé par (Libraire)
22 juin 2019

Virtuose Alexis Ragougneau!

La première page est ensorcelante, entêtée, celles qui suivent le sont tout autant, elles portent en elles la diablerie, « les effluves parfumées » de la Havanaise de Camille Saint-Saëns.
Opus 77, écrit par une main de maître, est entièrement dédié à la vie d’une famille de musiciens, tous touchés par l’excellence de leur art mais aussi contaminés par celui-ci.
On découvre également, en guillemets, la vie de Dimitri Chostakovitch. L’on va au même rythme qu’il l’a vécue, rapide, tourmentée, incertaine et si souvent dans la peur, la crainte du régime.
Tout est tendu autour d’un grain de folie, d’une note musicale frénétique coincée à jamais au fond d’une pupille.
C’est plus réussi qu’un roman policier, la partition opus 77 du concerto pour violon est magistrale, mille bravos virtuose Alexis Ragougneau !


Conseillé par (Libraire)
6 juin 2019

Marc Roger le passeur d'histoires

Si vous n’aimez pas lire et que vous voulez savoir pourquoi, alors lisez ce livre !
Il vous ouvrira les portes du plaisir de la lecture et des mille joies qu’elle procure.
Si vous aimez lire et que vous savez pourquoi, alors engouffrez-vous dans ce roman !
Vous y serez en bonne compagnie : Bachelard, Bobin, Nin, Baricco, Salinger, Neruda, Hugo, Audoux et j’en passe.

« je viens de fêter mes dix-huit ans. Collège-lycée-monde du travail direct. J’ai dévissé. C’est simple, selon les chiffres, ils donnent le bac à quatre-vingts pour cent des candidats. Moi, en douceur, j’ai basculé côté des vingt pour cent. Même pas certain que leurs statistiques puissent me compter : les professeurs n’y ont rien vu. Quelle que soit la matière, Grégoire Gélin ? Présent-absent ! Le parfait passe-muraille. »

Grégoire Gélin, un gosse de dix-huit ans se retrouve cuistot/serveur dans un Ehpad, Grégoire ne sait rien des livres, les romans, ça lui passe par-dessus la tête, on n’a jamais lu dans la famille.
Dans l’une des chambres de l’établissement il y a le vieux libraire, M. Piquier, atteint de Parkinson, n’y voyant plus très bien, cette rencontre va transformer Grégoire, le vieux libraire lui demande de lui faire la lecture, une heure par jour. Lire, à voix haute, va devenir la mission, la passion, le métier de Grégoire.
« J’entends M. Piquier me citer Confucius –« tu lui dis, il oublie ; tu lui enseignes, il écoute ; tu lui fais vivre, il apprend. » 
Le voyage peut commencer !


Conseillé par (Libraire)
6 juin 2019

Le monde était injuste, la société imparfaite...

Le roman commence ainsi: «LE MONDE était injuste, la société imparfaite et Jean-Christian en avait plus qu’assez». Saisi par l’envie révolutionnaire Il décida d’organiser une petite réunion insurrectionnelle avec ses amis. La couleur rouge sombre du grand soir poudroyait, les bases d’un nouveau monde se précisaient. Tout devenait secondaire sauf «la soif de voir l’injustice annihilée, le système s’écrouler» et le désir urgent d’ouvrir une troisième caisse de Bordeaux! Seulement au lendemain de la soirée nos guérilleros sont frappés d’une magistrale amnésie. Que s’est-il passé lors de cette réunion qui devait changer la face du monde? Et pire, qu’est ce message dystopique retrouvé sur un coin de nappe?
Ici la révolution est hallucinogène et bourgeoise. En l’absence de gaz moutarde l’œil reste sec, cependant et c’est l’essentiel, Révolution de Grégoire Courtois remet tout en question, fait table rase de nos certitudes, avec l’humour comme slogan il fait de nous des camarades lecteurs. Charles Williams, Michel Audiard, Marie Myriam et Théodore Sturgeon sont de la manif!


Éditions de L'Olivier

Conseillé par (Libraire)
13 février 2019

Palabres de John Berger

Palabres sont les derniers récits écrits par John Berger en 2016, un an avant sa mort. Palabre est un condensé de l’univers de l’auteur, les textes sont brefs et concis, l’on y retrouve l’ensemble de ses intérêts, l’art, l’écologie, l'écriture et de ses préoccupations, l’impuissance de la politique et de ceux qui la font, opposés à la surpuissance du grand capital.
Au fil des textes et parfois chansons, l’on va retrouver Rosa Luxembourg, Albert Camus Charlie Chaplin, ou plus inattendu Nicolas Poussin et un de ses tableaux: Et in Arcadia ego. Ce texte est certainement le plus émouvant du recueil, la vie, la mort d’une amitié y sont intrinsèquement mêlés.
Il nous dit aussi l’absolue nécessité de la joie et de l’optimisme, il en est persuadé, c’est cela qui sauvera le monde, voici ce qu’il fait dire à Rosa Luxembourg alors qu’elle est dans une geôle à Berlin et que son assassinat est programmé: «Être un humain, dis-tu, est la chose la plus élevée de toutes. Et cela veut dire être ferme et clair et joyeux, oui, joyeux envers et contre tout, parce que se plaindre est l’affaire des faibles. Être un humain veut dire jeter joyeusement sa vie entière dans la gigantesque balance du destin s’il le faut, et en même temps jouir de la clarté de chaque jour et de la beauté de chaque nuage.»
Alors il nous parle des arbres, il en dessine, des fleurs aussi et des nuages justement qui, selon lui, agissent sur nous plus que nous sur eux. Bassorah, la poésie irakienne de Kasid, Gaza, les migrants. Puis un peu plus loin, une chanson: «C’est une histoire triste; l’air, la voix, le rythme rassemblent et réconfortent. Entre deux couplets, il y a un refrain: la lalala lalala la… Michele tend le bras et une centaine de spectateurs reprennent le refrain en cœur. Le mur médiéval visible derrière eux- entre leurs épaules et leurs têtes- se recouvre d’or jusqu’à la fin du refrain. Puis il redevient pierre.»

Palabres, C’est un tout petit livre, pas plus de 150 pages, mais cet article n’évoque pas la moitié de ce que nous transmet John Berger, la force de la brièveté des mots est enquillée à la luxuriance des images.
Quelques mots encore de lui, si contemporains, d’une indémodable actualité…:«Des textes issus de la Nature, de l’univers, et qui nous rappellent que la symétrie côtoie le chaos, que l’ingéniosité peut vaincre la fatalité, que ce qui est désiré est plus réconfortant que ce qui est promis.
Alors, soutenu par ce que nous avons reçu du passé et par ce dont nous sommes témoins, nous aurons le courage de résister, de continuer à résister dans un contexte pourtant inimaginable. Nous apprendrons à patienter, solidaires.
Tout comme nous continuerons de célébrer, de blasphémer et de jurer dans toutes les langues que nous connaissons.»